Mémoire, Espace et Temps

J’ai déjà dit que je veux me servir du pinceau comme un écrivain se sert de la plume. C’est que, à mon avis un artiste ne doit s’imposer aucune limite tant dans le choix des sujets que dans celui des média qu’il prend pour exprimer sa pensée. Le domaine de l’artiste en général, du peintre en particulier est l’émotion. Tout se passe comme s’il y avait d’un côté des essayistes, des philosophes, des scientifiques qui se chargent de nous faire comprendre le monde et de l’autre, des artistes : poètes, peintres, musiciens, danseurs, etc. dont la mission est de nous émouvoir. Cette dichotomie nous enserre dans des couloirs étroits où chaque camp s’interdit, sous peine d’anathème, d’aller puiser dans le lot de l’autre. La conséquence de cette attitude confine à la sclérose. L’expression ne se régénère pas. Les scientifiques s’interdisent la métaphore et les artistes ne renouvellent pas ou presque pas leur champ d’exploration. Résultat : le langage, dans l’un et l’autre camp, se contente de lieux communs et ne suit pas l’évolution de la langue qui, elle, se transforme au rythme des besoins d’expression de ceux qui l’utilisent.

Mémoire, Espace et Temps c’est la mémoire de l’humanité dans un lieu donné, à un moment donné. Cette mémoire en un lieu et en un temps s’appelle histoire. Quels que soient le lieu et le moment où se déroule l’action, il s’agit avant tout du combat de l’humanité pour s’accrocher à une parcelle de la planète, d’un combat pour célébrer la vie, pour la perpétuer. Cette parcelle de planète est représentée par un espace géométrique dont l’une des caractéristiques est la perspective. Cette métaphore de l’espace en perspective nous rappelle que nous nous dirigeons tous vers un même point. Ce point peut être l’idéal auquel nous aspirons tous. Ce point peut aussi symboliser notre origine, le point nodal à partir duquel nous sommes devenus ce que nous sommes soit comme individus soit comme groupements humains. La juxtaposition de deux ou plusieurs espaces en perspective symbolise les relations que les populations ou les individus peuvent avoir entretenues entre eux ou entretiennent encore. Ces espaces sont structurés et coloriés de diverses façons.

Dans ce combat pour atteindre sa stature d’humain, l’espèce s’est toujours servie d’un merveilleux instrument, d’un outil indispensable : la main. Le cerveau s’est développé et s’est enrichi de l’expérience et l’habileté acquises par elle tout au cours des centaines de milliers d’années de notre existence comme espèce. Nous sommes ce que nous sommes parce que nous avons une paire de mains habiles et travaillant en étroite collaboration avec un cerveau capable d’accumuler de l’expérience qui à son tour rend la main encore plus performante. Cette expérience accumulée est la mémoire. La main et le cerveau ont toujours suivi un mode de développement dialectique c'est à dire que l’expérience de l’un sert à augmenter l’habilité de l’autre qui à son tour enrichit le premier. Et maintenant l’humanité a accumulé suffisamment de savoir-faire et de connaissances pour passer à un niveau supérieur de développement. Depuis le début, l’homme a toujours cherché ou inventé des outils qui prolongeaient ou conféraient une plus grande habileté à la main. À ce nouveau stade de développement, l’humanité se donne des outils qui décuplent les performances du cerveau. Cette situation se traduit depuis un certain nombre d'années par la disparition de certains métiers manuels et l’émergence d’autres domaines d’activité où le travail intellectuel prédomine.

Est-ce à dire que la main deviendra inutile? Bien fou celui qui osera l’affirmer. La main du pianiste et celle du chirurgien seront pour longtemps encore des outils irremplaçables et la vie se chargera de lui trouver de nouveaux rôles. Peut-être que ce processus est déjà en marche et nous ne le décelons pas encore.

La main a développé tout un vocabulaire de gestes et de signes universellement reconnus et elle sera présente dans toutes les peintures. Deux formes anthropomorphiques semblent veiller sur cet espace en perspective. Ce sont des témoins, les dépositaires de la mémoire. Le temps est représenté dans ce qu’il a de plus caractéristique : il ne s’arrête jamais. Il est symbolisé par la permanence du mouvement. Certaines œuvres sont dédicacées, d’autres comportent des exergues, des citations, des rappels.

Sans chercher à expliquer, Mémoire, Espace et Temps n’est qu’une représentation du réel, la mienne parmi tant d’autres; je vous la propose.

Anthony Benoît

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